J’ai récemment corrigé un mémoire en traduction qui m’a replongée dans ces folles années (pas si lointaines) où j’étudiais moi-même la traduction, quand nos profs nous reprochaient d’être trop proches du texte ou pas assez et que certains élèves ne comprenaient plus ce qu’on leur voulait.

D’où ce nouvel article, principalement destiné aux étudiants en traduction. Il ne se veut pas exhaustif, le sujet est bien trop vaste pour qu’un simple article suffise, mais j’espère qu’il aidera certains d’entre vous à mieux cerner les attentes de leurs profs.

Le lien entre littéralité et plagiat

Les élèves qui ont du mal à comprendre ce qu’on entend par « trop littéral » sont souvent les mêmes qui ont du mal avec le concept de plagiat. Quand on demande de ne pas plagier, on ne veut pas dire qu’une phrase telle que « Mozart est né le 27 janvier 1756 » doit devenir sous votre plume acharnée « Le musicien dont traite ce texte naquit trois jours avant la fin du premier mois de l’an 1756 ». Vous voyez l’idée ?

Eh bien, c’est un peu pareil en traduction. Quand on demande de ne pas être trop littéral, ça veut dire qu’il ne faut pas traduire mot à mot si ce n’est pas naturel en français. Ça ne veut pas dire que vous devez absolument modifier chaque phrase sans raison, juste par peur d’être accusé de littéralité. D’ailleurs, le Larousse définit le mot littéralité comme suit : « Caractère de ce qui est strictement conforme au texte. » Arrêtez donc de croire que c’est une insulte ! C’est bien d’être conforme au texte, tant qu’on comprend ce que ça veut dire.

Traduire, au fond, c’est quoi ?

Déjà, rappelons l’objectif de base d’une traduction : permettre à quelqu’un de lire un texte alors qu’il n’en comprend pas la langue d’origine. Il doit ainsi avoir accès aux mêmes informations que dans le texte d’origine (le sens), mais aussi ressentir la même chose que le lecteur du texte d’origine (il faut dès lors utiliser le même registre, mettre l’accent sur les mêmes éléments, tout en respectant l’opinion et le style de l’auteur).

Il faut pour cela savoir distinguer les éléments propres à l’auteur (à respecter) et ceux propres à la langue ou à la culture d’origine (à adapter le cas échéant). Par exemple, si on traduit Proust, on ne raccourcira pas ses phrases puisque c’est un élément typique de son style. Mais si on traduit depuis une langue connue pour ses longues phrases dans une langue plus concise, on n’hésitera pas à faire des ajustements. De même, si on traduit un texte dans lequel un élève est particulièrement insolent avec un prof, on peut imaginer le tutoiement en français. Mais si on traduit un texte espagnol dans lequel les élèves tutoient leurs profs, on préférera le vouvoiement en français (il s’agit ici d’une habitude fréquente en Espagne, qui ne choquera pas le lecteur espagnol, tandis que le lecteur francophone serait étonné de voir un élève tutoyer son prof).

L’acronyme FFC, pour s’aider

Pour éviter d’être « trop littéral », il faut donc se poser *au moins* les questions suivantes :

1) Si je traduis cette phrase littéralement, est-ce que ça aura du sens en français ? (Fond)

2) Si je traduis cette phrase littéralement, est-ce que ça semblera naturel en français ? (Forme)

3) Si je traduis cette phrase littéralement, est-ce que ça sera logique par rapport à la culture française/à la structure de la langue française ? (Contexte culturel/linguistique)

On ne peut vraiment pas s’éloigner un peu ?

Bien sûr, il est possible de modifier certains passages pour rendre le texte plus agréable à lire. C’est entre autres le cas des maladresses involontaires – j’ai bien dit involontaires ! – de l’auteur (répétition, phrase mal formulée, erreur de grammaire, typo, etc.) Mais dans l’ensemble, s’il est possible de traduire une phrase littéralement sans en changer le sens et sans que notre traduction ait l’air, justement, d’une traduction, autant le faire.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en changeant un simple terme ou même l’ordre des mots, on prend des risques : celui de changer le sens de la phrase, de se tromper de registre, de trahir l’opinion de l’auteur, etc.

Voici un exemple tout simple :

Prenons la phrase « I like you, but sometimes you really annoy me ».

Imaginons que je la traduise par « Tu m’agaces vraiment parfois, mais je t’aime bien ».

=> Les mots sont les mêmes, j’ai juste changé leur ordre… Et en faisant ça, je mets l’accent sur des éléments différents.

Dans la phrase d’origine, la personne réprimande son interlocuteur (je t’aime bien, mais franchement, parfois, tu me saoules ; l’accent est sur la 2e partie de la phrase, l’idée d’agacement).

Dans ma traduction, ma réprimande devient plus affectueuse (t’es chiant, parfois, mais je t’aime bien quand même ; l’accent est de nouveau mis sur la 2e partie de la phrase, l’idée d’affection).

=> C’est donc l’exemple typique d’un changement inutile, puisqu’il est tout à fait possible de traduire cette phrase littéralement sans que ça choque en français, et dangereux, puisqu’il amène un changement de nuance.

Et dans la « vraie vie », alors ?

Je voudrais terminer par quelques précisions : ces conseils sont utiles (enfin, j’espère ! ) dans un cadre scolaire. En réalité, dans beaucoup de projets professionnels, certains des éléments ci-dessus n’ont plus d’importance (vous vous doutez bien qu’on ne respecte pas le « style de l’auteur » quand on traduit un mode d’emploi ou un procès-verbal de réunion).

De plus, je me suis basée sur ce que mes profs m’ont appris, sur leurs consignes. C’est le dernier élément à prendre en compte dans votre traduction : la demande de votre prof/client. Si votre prof vous demande de vous éloigner du texte à tout prix, faites-le. S’il vous demande d’utiliser le passé simple alors que vous préférez le passé composé, faites ce qu’il vous demande. Plus tard, vous aurez parfois un glossaire ou un guide de style à suivre et vous ne serez pas toujours d’accord avec ce qu’il contient, mais vous devrez respecter les demandes de votre client (sauf s’il y a manifestement une erreur dans le glossaire, vous feriez mieux de la signaler au client, of course). C’est ça aussi, le métier de traducteur.

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